Ouvrir cette nouvelle lettre d’infos comme on soulève le coin d’un voile. Avec hésitation et pudeur. Mais aussi avec cette envie de continuer à témoigner, humblement, auprès de tes yeux qui ont demandé ou choisi de suivre en toute intimité la suite de ce chemin, cette transition de vie.

 

Je te partage ici cinq « épisodes » de saison, cinq immersions dans les paysages que j’ai traversés ces derniers mois. En dehors, et en-dedans, aussi. Un mélange d’écrits échangés sur le vif ou consignés dans mes carnets, et de mots que le temps m’a permis de digérer patiemment pour t’en livrer ce regard distancié.

 

C’est un peu long, mais c’est de saison 🙂
Je te laisse alors le soin de l’arpenter à ta guise, choisir le moment juste pour toi d’y plonger, ou non.

1° Temps, écoute, confiance et réalités
Premiers collectages en auto-stop, du 8 au 11 octobre 2024
Lundi 7 octobre : jour initialement prévu pour notre premier départ avec Rémi, mon ami et acolyte de création. Notre impatience à plonger nos oreilles dans les rencontres se retrouve immanquablement mise à l’épreuve de la pluie automnale qui se mêle à la partie ce jour-là… Alors choisir de prendre soin de nous, et reporter le départ, troquer sans grand regret nos k-ways contre la chaleur d’une journée passée ensemble à griller des châtaignes. Le ton est donné : renouer avec le temps et la disponibilité comme ingrédients nécessaires et indispensables pour mijoter ce projet.
Le lendemain, enfin !
Les sacs sont bouclés, condensé d’autonomie quotidienne minimaliste prêt à se déplier dans quelque coin encore inconnu de l’horizon. Partir à pied, et plonger dans l’aventure au bout de la première rue. Tendre le pouce, et convoquer au fond de soi la confiance qu’où que ce soit, on arrivera.

 

Le plan initial : partir, sans direction autre que celle qui nous sera donnée par les rencontres. Avec pour seule intention d’aller partager la route, discuter, échanger, collecter la parole de chaque hôte qui nous ouvrira les portes de son véhicule pour quelques minutes ou quelques heures.

 

La dure réalité de saison : la pluie annoncée sur 90% de la France cette semaine-là. Ahahah ^^

 

Alors ni une ni deux, s’inventer un autre axe, une direction autour de laquelle articuler nos trajets pour louvoyer et échapper à la rincée assurée. Au fil des premières heures, suspendus aux prévisions météo, cette douce folie se dessine : aller se baigner dans l’océan à l’ouest dans le Pays Basque, puis filer plein est boire une citronnade à Menton à la frontière italienne, avant de rentrer à temps, 4 jours plus tard, pour une soirée au festival du Film Documentaire de Labastide de Rouairoux dans le Tarn.

Mission accomplie  !

Et sur la route….
Il y a eu Thomas, Chantal et Camille, Kad, Chlolia, Céleste, Rémi, Paulette et Danielle, Théo, Clément, Jonathan, Pascale et tant d’autres. Celles et ceux qui « ont l’habitude », et celles et ceux qui se sont arrêtés pour la première fois, sans vraiment « savoir pourquoi ». Nombre de ces rencontres se sont jouées à une fraction de seconde.
On y a parlé du temps, de peurs et de confiance. De la vieillesse aussi, de transmission et d’audace. On y a accueilli tant de réalités si différentes des nôtres et reçu, fugacement et intensément à la fois, les énergies de vie singulières de chacun.e.
Et puis il y a eu cet accueil, généreux, inattendu, de Paul qui nous a ouvert sa porte pour une nuit et ses histoires de voyage et de rue.
« C’est pas de la générosité… c’est de la compréhension. »
Tant de petites sagesses qui se font écho et continuent de m’accompagner.
Au fil de la route, offrir notre attention, improviser et choyer un espace d’écoute, de rencontre, dénué de jugement. Guidés simplement par cette curiosité, vraie et sincère, de découvrir et comprendre la réalité de l’autre.

Et en collectant toutes ces paroles, nous voir en toile de fond en train de tisser un fil sur la vaste trame du monde qui nous entoure, devenir nous-même ce lien invisible entre chacun de ces êtres rencontrés sur la route, entre chacune de ces réalités.Alors humblement accueillir la voix de celles et ceux qui, peut-être, ne l’auraient pas prise ainsi ailleurs que dans cette voiture, dans la bulle intime de leur propre habitacle. Et choisir, plus que jamais, dans notre processus de création, de faire entendre ces instantanés de philosophie modeste forgée dans le creuset de chacune de nos existences « ordinaires », en leur redonnant l’éclat « extra-ordinaire » de ce sur quoi on choisit de mettre de l’attention, de ce que l’on choisit de regarder et écouter vraiment.

Comme une petite fenêtre ouverte sur ce processus de création, je te partage un enregistrement « brut » du premier texte écrit en retranscrivant un de ces collectages : Kad.

D’autres collectages en stop suivront dans l’année à venir. Et pas à pas, nous continuons d’imaginer et façonner l’univers scénique qui entremêlera ces paroles à notre propre matière intime nourrie de poésie, de chant et de musique.


2° Trier, déménager, quitter, habiter

31 octobre 2024

Me retrouver là, debout au bord de ce plongeoir patiemment dessiné depuis huit mois.
A sauter le dernier pas, celui de quitter le lieu qui m’a accueillie ces six dernières années.
Ce prolongement de moi, cocon-effusion de mon univers projeté dans chaque recoin de l’espace, du sol au plafond.
Un déménagement, dit-on, est une forme de deuil.
Trier, encartonner, choisir.
Ce que je conserverai de cet univers-là.
Le recréerai-je vraiment un jour ailleurs ?
Certainement – forcément – autrement.

Puis franchir le seuil.
Et quitter.

Vider entièrement un habitat est toujours une drôle d’aventure, parsemée des histoires qui ont émaillé ce chapitre de vie, et qu’il faut empaqueter, elles aussi, au creux de soi. Puis reboucher chaque trou des murs en y puisant l’énergie d’inventer la suite. Une autre manière d’habiter.

Mon être est aujourd’hui suspendu entre deux temps, entre deux paradigmes dans mon rapport à l’espace.

Il faudra du temps pour habiter à nouveau.
Dire « chez moi ».

Traverser alors les semaines qui suivent en naviguant à vue dans la brume. Y côtoyer quelques ombres tenaces, entrelacs de branches à continuer de débroussailler pour se frayer un passage au plus près de soi.

 

Reconstruire de nouveaux repères, à cheval entre le nomadisme et l’ancrage sédentaire. Et me perdre, encore souvent, dans ces différents espaces de moi géographiquement éclatés.
Écrire cette nouvelle page de vie se révèle plus confrontant que je n’ose l’avouer. Derrière l’éclat et les paillettes de cette grande liberté que je me suis bâtie pas à pas ces derniers mois, pétrie d’audace et de courage, je me sens aujourd’hui à la fois privilégiée et profondément désœuvrée, bousculée de mille pensées qui se dressent en bilans déroutants et vertigineux. Il y a là des murs de croyances qu’il va maintenant me falloir trouver la force de franchir pour de bon pour amorcer un nouveau chemin.
Mais pour l’heure, me ressentir en creux.
Vaste vallée balayée de doutes.
Laisser le vent me traverser.
La brume, recouvrir les traces.
Pour m’en remettre au temps de l’hiver.
Si lent, et infiniment déstabilisant.

Et accepter de ployer.

          Pour protéger les graines.

3° Tendre l’oreille
16 novembre 2024

Rencontres du Carnet de Voyage de Clermont-Ferrand, un rendez-vous annuel de voyageurs et carnettistes passionné.e.s. Dans un coin de cette salle immense et foisonnante de curieu.se.s et d’artistes, une série de transat’ me fait de l’œil, m’intrigue. A chaque transat’, un casque suspendu, comme un appel à s’extraire de l’agitation environnante. Une invitation à voyager, autrement, par les oreilles.

 

Une rencontre, véritable coup de cœur, avec l’univers d’Emeline Rétif et ses « Voyages cueillis à l’oreille »… Une créatrice d’univers sonores poétiques pour « célébrer ensemble la beauté du vivant, de la résistance et du lien ». Évidemment, ça résonne fort 🙂 Certains de ses carnets sont en ligne, allez donc les écouter (au casque, c’est franchement mieux) : Le mal de Taire

 

Et peu de temps après ça…. surprise ! Un atelier de fabrication de micros DIY est justement proposé à deux pas de mon camp de base, dans un chouette lieu associatif, l’Avanturfu, qui a créé une toute fraîche radio locale, Radio Châtaigne ^^ Me voilà donc en train d’apprendre à réaliser mes premières micro-soudures pour assembler les composants d’un double micro permettant d’enregistrer paroles et univers sonores en stéréo… Woooow !

Et puis, s’ensuivent encore d’autres rencontres sonores qui m’ont beaucoup touchée et accompagnée cet automne, notamment le podcast HyperRural créé par Laëtitia Carton, une plongée dans le parcours de vie de 7 habitants du plateau de Millevaches dans le Limousin. Il y a là quelques sublimes pépites.

Tendre l’oreille.
Capter les histoires qui se racontent au plus près de l’humain.
Ça me parle, tout ça…

 

4° Réjouissance & cuisine nourricière
Du 12 au 16 décembre 2024 au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire

Invitée par un ami carnettiste à cuisiner pour l’un de ses stages, me voilà partie sur les routes concocter les repas pour 16 personnes pendant quatre jours dans un gîte au fin fond de la Haute-Loire, au milieu de la campagne enneigée, entourée de gens passionnés qui parlent regard, couleurs, lumières, composition.

 

Un défi, une première.
L’excitation d’une nouvelle expérience, l’esprit d’aventure qui toujours ravive une flamme en moi.

 

Me retrouver ainsi à régaler des papilles, qui n’ont pas tari d’éloges, nourrie en retour par ces sourires gourmands adressés des quatre coins de cette grande tablée. Touchée de me sentir prendre pleinement cette place avec un naturel et une simplicité déconcertants. C’était fort, et pas anodin pour moi, de « nourrir » ainsi.

Et si naturellement, la réjouissance, cette « joie authentique, sincère et si vivante », qui émerge là, simplement. Pleinement. Sans la chercher ni la provoquer, juste l’observer là pendant ces 4 jours, la laisser me traverser et s’offrir sans y opposer aucun filtre mental, dissous dans la présence à l’instant, le sens naturel donné à chacune de ces journées consacrées à « nourrir ». Plusieurs personnes m’ont remerciée, au-delà de ma cuisine, pour ma joie de vivre et mes sourires. Dans la tempête intérieure vécue ces derniers mois, j’y vois là le signe que je me suis laissée traverser par cette réjouissance, et qu’à travers moi, elle s’est offerte aux autres.
Cette réjouissance me semble si intimement corrélée à l’émerveillement… Cet état mêlé de surprise et de « beauté ». Je mets des guillemets car ce concept est si subtil à définir, je le ressens plus que je ne l’explique. Il y a là-dedans quelque chose de l’ouverture à recevoir ce qui est, pour se laisser toucher en plein cœur. Quelque chose d’un cœur qui, soudain, se reconnaît. Mon propre émerveillement d’abord, puis dans la résonance, l’écho renvoyé par l’émerveillement de l’autre. Oui, ce qui me réjouit, c’est aussi de contribuer à susciter cet émerveillement, à le partager. Par des saveurs qui réjouissent subtilement d’autres papilles comme elles ont éveillé les miennes en les découvrant ou en les cuisinant. Et par les mots, et la poésie sous toutes ses formes, qui effleurent cet émerveillement du cœur à toucher ce qui est vivant au fond de soi.
La réjouissance, ce sont les mots d’Aurélien, boulanger philosophe, conteur & poète rencontré il y a moult années au Québec grâce à une amie commune qui m’ont invitée à l’observer. Des mots qui aujourd’hui s’échangent dans les ondes à travers l’océan. Graines semées dans le terreau de l’hiver. Mots-écho qui agrandissent l’espace en-dedans de soi, se font passerelle suspendue entre le ciel et les profondeurs pour tendre des ponts au-devant de soi.
5° Au creux de l’Arbre vagabond
Cheyne, le 16 décembre 2024
Il y a des lieux qui vous rentrent dans le cœur en un instant.
Celui-ci s’est placé sur ma route par une coïncidence inattendue, s’est fait sans le savoir refuge d’une journée, au fin fond d’une campagne inondée de neige et de brumes.

Apprendre par un improbable hasard autour de la grande tablée que je régalais, qu’à deux pas de là, un hameau voisin abrite le lieu de création des éditions Cheyne, que je connais depuis des années et dont les livres et l’éthique me touchent beaucoup.

La coïncidence est trop énorme… !

Alors sitôt finie ma mission, me voilà à passer une journée entière ici, blottie en plein cœur du rayon poésie, à me nourrir de mots et m’imprégner de ce lieu avant la longue route du retour. De leur cuisine aussi, raffinée, harmonie joyeuse de couleurs, de textures et de saveurs délicatement agencées. Y savourer des éclats de joie mêlée d’humanité.
Quel cadeau…

***

Aux confins de mon propre hiver, je mesure moi aussi la nécessité de m’en remettre à la lenteur. A contre-courant de chacune de ces injonctions intérieures que je ressens, sans doute nourries depuis tant d’années d’un frénétique besoin de faire pour exister.

A suivre…

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