Ouvrir cette nouvelle lettre d’infos comme on soulève le coin d’un voile. Avec hésitation et pudeur. Mais aussi avec cette envie de continuer à témoigner, humblement, auprès de tes yeux qui ont demandé ou choisi de suivre en toute intimité la suite de ce chemin, cette transition de vie.
Je te partage ici cinq « épisodes » de saison, cinq immersions dans les paysages que j’ai traversés ces derniers mois. En dehors, et en-dedans, aussi. Un mélange d’écrits échangés sur le vif ou consignés dans mes carnets, et de mots que le temps m’a permis de digérer patiemment pour t’en livrer ce regard distancié.
C’est un peu long, mais c’est de saison 🙂
Je te laisse alors le soin de l’arpenter à ta guise, choisir le moment juste pour toi d’y plonger, ou non.

Premiers collectages en auto-stop, du 8 au 11 octobre 2024
Les sacs sont bouclés, condensé d’autonomie quotidienne minimaliste prêt à se déplier dans quelque coin encore inconnu de l’horizon. Partir à pied, et plonger dans l’aventure au bout de la première rue. Tendre le pouce, et convoquer au fond de soi la confiance qu’où que ce soit, on arrivera.
Le plan initial : partir, sans direction autre que celle qui nous sera donnée par les rencontres. Avec pour seule intention d’aller partager la route, discuter, échanger, collecter la parole de chaque hôte qui nous ouvrira les portes de son véhicule pour quelques minutes ou quelques heures.
La dure réalité de saison : la pluie annoncée sur 90% de la France cette semaine-là. Ahahah ^^
Alors ni une ni deux, s’inventer un autre axe, une direction autour de laquelle articuler nos trajets pour louvoyer et échapper à la rincée assurée. Au fil des premières heures, suspendus aux prévisions météo, cette douce folie se dessine : aller se baigner dans l’océan à l’ouest dans le Pays Basque, puis filer plein est boire une citronnade à Menton à la frontière italienne, avant de rentrer à temps, 4 jours plus tard, pour une soirée au festival du Film Documentaire de Labastide de Rouairoux dans le Tarn.
Mission accomplie !
Il y a eu Thomas, Chantal et Camille, Kad, Chlolia, Céleste, Rémi, Paulette et Danielle, Théo, Clément, Jonathan, Pascale et tant d’autres. Celles et ceux qui « ont l’habitude », et celles et ceux qui se sont arrêtés pour la première fois, sans vraiment « savoir pourquoi ». Nombre de ces rencontres se sont jouées à une fraction de seconde.
Tant de petites sagesses qui se font écho et continuent de m’accompagner.
Et en collectant toutes ces paroles, nous voir en toile de fond en train de tisser un fil sur la vaste trame du monde qui nous entoure, devenir nous-même ce lien invisible entre chacun de ces êtres rencontrés sur la route, entre chacune de ces réalités.Alors humblement accueillir la voix de celles et ceux qui, peut-être, ne l’auraient pas prise ainsi ailleurs que dans cette voiture, dans la bulle intime de leur propre habitacle. Et choisir, plus que jamais, dans notre processus de création, de faire entendre ces instantanés de philosophie modeste forgée dans le creuset de chacune de nos existences « ordinaires », en leur redonnant l’éclat « extra-ordinaire » de ce sur quoi on choisit de mettre de l’attention, de ce que l’on choisit de regarder et écouter vraiment.
Comme une petite fenêtre ouverte sur ce processus de création, je te partage un enregistrement « brut » du premier texte écrit en retranscrivant un de ces collectages : Kad.
D’autres collectages en stop suivront dans l’année à venir. Et pas à pas, nous continuons d’imaginer et façonner l’univers scénique qui entremêlera ces paroles à notre propre matière intime nourrie de poésie, de chant et de musique.
2° Trier, déménager, quitter, habiter
31 octobre 2024
Me retrouver là, debout au bord de ce plongeoir patiemment dessiné depuis huit mois.
A sauter le dernier pas, celui de quitter le lieu qui m’a accueillie ces six dernières années.
Ce prolongement de moi, cocon-effusion de mon univers projeté dans chaque recoin de l’espace, du sol au plafond.
Un déménagement, dit-on, est une forme de deuil.
Trier, encartonner, choisir.
Ce que je conserverai de cet univers-là.
Le recréerai-je vraiment un jour ailleurs ?
Certainement – forcément – autrement.
Vider entièrement un habitat est toujours une drôle d’aventure, parsemée des histoires qui ont émaillé ce chapitre de vie, et qu’il faut empaqueter, elles aussi, au creux de soi. Puis reboucher chaque trou des murs en y puisant l’énergie d’inventer la suite. Une autre manière d’habiter.
Mon être est aujourd’hui suspendu entre deux temps, entre deux paradigmes dans mon rapport à l’espace.
Il faudra du temps pour habiter à nouveau.
Dire « chez moi ».

Traverser alors les semaines qui suivent en naviguant à vue dans la brume. Y côtoyer quelques ombres tenaces, entrelacs de branches à continuer de débroussailler pour se frayer un passage au plus près de soi.
Vaste vallée balayée de doutes.
Laisser le vent me traverser.
Si lent, et infiniment déstabilisant.
Et accepter de ployer.

3° Tendre l’oreille
16 novembre 2024
Rencontres du Carnet de Voyage de Clermont-Ferrand, un rendez-vous annuel de voyageurs et carnettistes passionné.e.s. Dans un coin de cette salle immense et foisonnante de curieu.se.s et d’artistes, une série de transat’ me fait de l’œil, m’intrigue. A chaque transat’, un casque suspendu, comme un appel à s’extraire de l’agitation environnante. Une invitation à voyager, autrement, par les oreilles.
Une rencontre, véritable coup de cœur, avec l’univers d’Emeline Rétif et ses « Voyages cueillis à l’oreille »… Une créatrice d’univers sonores poétiques pour « célébrer ensemble la beauté du vivant, de la résistance et du lien ». Évidemment, ça résonne fort 🙂 Certains de ses carnets sont en ligne, allez donc les écouter (au casque, c’est franchement mieux) : Le mal de Taire
Et peu de temps après ça…. surprise ! Un atelier de fabrication de micros DIY est justement proposé à deux pas de mon camp de base, dans un chouette lieu associatif, l’Avanturfu, qui a créé une toute fraîche radio locale, Radio Châtaigne ^^ Me voilà donc en train d’apprendre à réaliser mes premières micro-soudures pour assembler les composants d’un double micro permettant d’enregistrer paroles et univers sonores en stéréo… Woooow !
…
Tendre l’oreille.
Capter les histoires qui se racontent au plus près de l’humain.
Ça me parle, tout ça…
4° Réjouissance & cuisine nourricière
Du 12 au 16 décembre 2024 au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire
Invitée par un ami carnettiste à cuisiner pour l’un de ses stages, me voilà partie sur les routes concocter les repas pour 16 personnes pendant quatre jours dans un gîte au fin fond de la Haute-Loire, au milieu de la campagne enneigée, entourée de gens passionnés qui parlent regard, couleurs, lumières, composition.
Un défi, une première.
L’excitation d’une nouvelle expérience, l’esprit d’aventure qui toujours ravive une flamme en moi.
Me retrouver ainsi à régaler des papilles, qui n’ont pas tari d’éloges, nourrie en retour par ces sourires gourmands adressés des quatre coins de cette grande tablée. Touchée de me sentir prendre pleinement cette place avec un naturel et une simplicité déconcertants. C’était fort, et pas anodin pour moi, de « nourrir » ainsi.


Cheyne, le 16 décembre 2024
Celui-ci s’est placé sur ma route par une coïncidence inattendue, s’est fait sans le savoir refuge d’une journée, au fin fond d’une campagne inondée de neige et de brumes.

Apprendre par un improbable hasard autour de la grande tablée que je régalais, qu’à deux pas de là, un hameau voisin abrite le lieu de création des éditions Cheyne, que je connais depuis des années et dont les livres et l’éthique me touchent beaucoup.
La coïncidence est trop énorme… !
Alors sitôt finie ma mission, me voilà à passer une journée entière ici, blottie en plein cœur du rayon poésie, à me nourrir de mots et m’imprégner de ce lieu avant la longue route du retour. De leur cuisine aussi, raffinée, harmonie joyeuse de couleurs, de textures et de saveurs délicatement agencées. Y savourer des éclats de joie mêlée d’humanité.
Quel cadeau…

Aux confins de mon propre hiver, je mesure moi aussi la nécessité de m’en remettre à la lenteur. A contre-courant de chacune de ces injonctions intérieures que je ressens, sans doute nourries depuis tant d’années d’un frénétique besoin de faire pour exister.
A suivre…
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